CONCERTS
GAMAYUN : LE DERNIER ALBUM DE NATACHA & NUITS DE PRINCES
Qu’est-ce que « Gamaïoun » ? Un oiseau, né du tréfonds des âges pour survivre à la nuit des temps. En russe, son nom s’écrit « Гамаюн ». Jusqu’à présent, personne n’a pu le voir ; mais ceux qui ont pu l’entendre l’ont entraperçu, et nous en ont transmis les attributs essentiels : deux immenses ailes noires, une queue sertie de plumes de feu, un visage et un buste de femme d’une beauté à couper le souffle. Cet oiseau migre entre deux mondes, celui des morts et celui des vivants, il sait tout des hommes et de la création.
En Russie, il aime se nicher sur les arbres qui bordent les routes pour, à travers ses chansons, dévoiler l’avenir à tous ceux qui y passent — vagabonds, exilés, aventuriers, enfants perdus, rôdeurs et badauds. Hélas, il est très difficile à entendre car son chant se fond dans le bruissement du vent ; surtout, il ne se révèle pas à tout le monde, mais uniquement à ceux qui savent entendre un secret. Heureusement pour les simples mortels, tous les Russes qui l’ont entendu l’ont chanté à leur tour : d’Alexandre Blok à Vladimir Vyssotski, en passant par Sergueï Essenine et Anna Akhmatova.
Aujourd’hui, en France, c’est en Natacha & Nuits de Princes qu’il s’est incarné. Ce Gamaïoun-là s’écrit Gamayun. Qu’est-ce que c’est ? Une voix magique et une sensualité païenne qui nous transmet, entre une romance de Pouchkine et un air de Fet, ses propres accents, incomparables. Ce sont des arrangements enchanteurs, qui subliment l’union de toutes les cordes : la domra et la contrebasse, les guitares et la balalaïka. C’est l’Est tsigane et l’Ouest brésilien, le russe des steppes et le français des Balkans ; c’est le traditionnel et le jazz en extase.
À travers quatorze titres, Gamayun chante la misère de l’exil et la splendeur des voyages, le poids des mots et le réconfort des silences, la gaieté de la vie et la légèreté de la mort. Ce qu’il prédit, Gamayun, c’est un rêve — le corps à corps dans un lit, l’Occident et l’Orient enfin réunis, le toi et le moi solidaires en un nous, la terre entière autour d’une table.
Il chante l’amour, il chante la liberté ; il chante si juste. À nous donc, passants que nous sommes, de savoir lui prêter une oreille absolue.
Julie Bouvard